Récit de pratique cérémonielle ou cultuelle

La spiritualité abénaquise

Tradition: Spiritualité autochtone
Appartenance: Spiritualité autochtone (Abénaquis)
Groupe: La communauté d'Odanak
Paroisse, congrégation ou équivalent: La communauté d'Odanak (Abénaquis)

Classé sous Système de croyance (9100), Phénomène naturel et vision du monde (9110).

Historique général


Présentation d'une danse traditionnelle lors du pow-wow de 2010
© IPIR 2010, soumis à copyright

Toutes les nations amérindiennes ont été évangélisées par les Européens. Chez les Abénaquis, l'évangélisation a débuté au milieu du 17e siècle. Les Abénaquis qui souhaitaient devenir alliés des Français devaient être baptisés. C’est pour cette raison, et pour l’obtention de fusils, qu’ils ont accepté de se faire baptiser.


Pour cette nation, il s’agissait davantage d'un rituel d’alliance et d’amitié que d’une conversion qui entraînait des interdits et de nouvelles croyances. Les Français remettaient des fusils aux hommes et des chaudrons de métal aux femmes. Selon notre informatrice, les Abénaquis ont beaucoup questionné les missionnaires à propos de cet échange et de la religion, et ces derniers ne satisfaisaient pas souvent avec leurs réponses. Les missionnaires affirmaient qu’il y avait Dieu le père et Dieu le fils. Mais pour les Abénaquis, il aurait dû y avoir aussi Dieu la femme. Pour eux, sainte Anne, grand-mère de Jésus, était une  figure féminine marquante.  Encore aujourd'hui plusieurs Abénaquis font un pèlerinage lors de la neuvaine de Sainte-Anne. Nicole O’Bomsawin a souvent fait le pèlerinage avec ses parents. Lors de la neuvaine, ils campaient, priaient et faisaient du troc. Cette pratique persiste aujourd'hui, au sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré, et aussi dans différentes églises dédiées à sainte Anne, au Québec et aux États-Unis. La force de cette tradition démontre l’importance des aînés chez les Abénaquis, notamment de la place de la grand-mère dans la transmission du savoir et de la spiritualité. Qu’ils aient été pratiquants ou non, les Abénaquis fréquentaient cette neuvaine. La neuvaine a même exercé une influence sur certains de leurs rituels, qui n’étaient pas approuvés par les missionnaires.


Aujourd’hui, l’Église laisse davantage place à la spiritualité autochtone et à son expression. Certains aînés qui n’ont pas connu la spiritualité traditionnelle demeurent toutefois réticents à la rencontre entre les pratiques autochtones et la spiritualité amenée par les Européens. Il s’agit surtout d’aînés qui ont été éduqués dans la foi catholique traditionnelle.  Pour les traditionalistes autochtones (politique et spirituel), l’Église n’a pas à se réapproprier les traditions abénaquises. Pour sa part, Nicole O’Bomsawin n’a pas participé à toutes les cérémonies traditionnelles qui se déroulaient dans sa communauté, mais certains rituels identitaires ont été réintroduits dans le rite catholique, laissant ainsi la place à une plus grande ouverture oecumémique.

Description


Conférence de Nicole O'Bomsawin
© IPIR 2010, soumis à copyright

Pour le grand peuple de l’Est, qui au Canada et aux États-Unis compte plusieurs nations, la cosmogonie s'articule autour des saisons et des activités saisonnières.  Les Abénaquis ont quatre saisons:  l’hiver étant la plus longue saison.  En se succédant, les saisons forment un cercle. Il faut connaître et savoir utiliser les ressources de chaque saison pour survivre, pour « passer l’hiver. »


Le printemps est le temps de l'érable. Les Abénaquis ne produisaient pas du sirop avec l’eau d’érable, mais du sucre, qui se conservait plus longtemps. Ce sucre était très apprécié et permettait de multiples échanges dans la communauté. À la fin du printemps débute la cueillette de plantes forestières dont les têtes de violons. La période propice à la cueillette des têtes de violon dure à peine une semaine. Les Abénaquis étaient semi-nomades. L'été, le mode de vie abénaquis traditionnel était plus sédentaire. Les Abénaquis s’établissaient quelques mois pour cultiver de petits jardins. Les Abénaquis étaient moins doués que les Iroquois pour l’agriculture. Ils préféraient la pêche à l’entretien du jardin. Les Abénaquis comptaient surtout sur la chasse, la pêche et la cueillette. Les jardins étaient formés d’un groupe de plantes nommé les trois sœurs : le maïs, la fève et la courge. Dans une butte de terre, les graines de ces trois plantes étaient mélangées. Le maïs poussait en premier, et sa tige offrait un support aux haricots. L’humidité conservée par ce feuillage offrait de bonnes conditions de croissance aux courges. Ces trois plantes symbolisent aussi trois déesses matriarcales. Ce mode de culture aurait été emprunté aux Iroquois. L’automne venu, les citrouilles et les canneberges étaient récoltées. L’automne est aussi le temps de la chasse. L’hiver, dans les petits territoires, les Abénaquis vivaient en petits groupes familiaux d’environ quinze personnes. Durant ces longs mois, ils vivaient dans un isolement total. L'hiver était une saison toute désignée pour transmettre ou raconter les histoires. C’était le meilleur moyen de profiter de l’hiver, car lors des autres saisons, il y avait trop de tâches à accomplir pour s’asseoir et écouter raconter. Chaque jour, quelqu’un racontait une partie de l’histoire de la création. Généralement, personne ne la connaissait au complet. Des portions étaient racontées par différentes personnes chaque jour. Raconter cette histoire pouvait prendre jusqu’à sept semaines. On parlait des pierres sur les montagnes, de l'usage qu'il est possible d’en faire, de l'endroit où les trouver... Cette histoire leur apprenait la survie, en plus de donner un sens à leur vie. Ils transmettaient aussi, durant cette saison, l’histoire des traités et des relations entre les nations et l’histoire abénaquise.


Dans le cercle de vie abénaquis, comme pour le christianisme et le judaïsme, le nombre sept tient un grand rôle. Les Abénaquis disent par exemple « qu'il faut penser aux sept prochaines générations quand il y a une grande décision à prendre. » Le chiffre quatre est associé à l’harmonie. Il fait référence aux quatre directions (le nord, le sud, l’est et l’ouest) et aux peuples qui y sont associés. Chaque direction a une dimension symbolique et une couleur particulière, changeante selon les nations. 


Outre les quatre directions et les quatre saisons, il existe aussi les quatre règnes (le végétal, l’animal, le minéral et l’être humain) et, surtout, les quatre périodes de la vie humaine (naissance, enfance, adulte, vieillesse). Pour les Abénaquis, l’adolescence n’existait pas. Les anniversaires non plus. Mais les étapes de la vie étaient célébrées sous forme de rituels. Le rituel des premiers pas était la première étape dans le cercle de vie. Il était considéré comme l’accueil de l’enfant dans le cercle de la vie. Ensuite, chez le garçon seulement, on célébrait son apprentissage de la propreté. En abénaquis, un bébé est nommé «tsidis», qui signifie en français «petit bout d’oignon sauvage». Le mot évoque la fragilité d’une plante sur laquelle on ne peut pas tirer, et qu’il faut laisser grandir à son propre rythme. La cérémonie du nom mettait fin à l’étape de la naissance, au moment où l’enfant perdait sa première dent de façon naturelle. Les cheveux était alors coupés, et un nom était donné. Ce nom était choisi selon le caractère de l’enfant. Le bébé devenait alors un enfant. De nos jours, ce rituel n’est plus pratiqué, puisque l'enfant doit posséder, selon la loi, un nom après un mois. Chez les Abénaquis, l’attribution d’un nom survenait habituellement à l’âge de cinq ans. (Le nom traditionnel de Nicole Obomsawin est «nanatasis», qui signifie «oiseau-mouche».) La grande étape du passage de l’enfance à l’âge adulte, peu importe l’âge, survenait pour le garçon lorsqu’il était considéré comme suffisamment mature, et la fille devenait une femme lors de ses premières « lunes ». Les premières menstruations étaient suivies d’une grande fête familiale et d’un rituel avec une danse, la danse du châle. Cet élément vestimentaire symbolisait la possibilité d’avoir un enfant et d’en prendre soin. Nicole O’bomsawin a réinstauré ce rituel en incluant désormais toutes les jeunes femmes et les petites filles de la communauté, puisque celles-ci deviendront femmes elles aussi. Chez les hommes, il n’y avait pas cette démarcation naturelle entre les âges. Il fallait donc passer quatre épreuves pour devenir un homme. Ces épreuves mettaient en relation les capacités physiques, mentales, émotionnelles et spirituelles du futur homme. Quand les garçons avaient réussi – la notion d’échec n’existait pas – ils exécutaient la danse du couteau, durant laquelle ils recevaient leur premier outil. La vieillesse était quant à elle marquée par la reconnaissance de l’écoute et de la transmission qu’une personne âgée possédait. Cette personne devait manifester une certaine sagesse et une connaissance au-delà du territoire ; elle devait être sage même pour d’autres nations.


Le grand récit de la création était raconté pendant la saison hivernale.  Au tout début, il y avait un grand mystère, nommé Kizitogoak, qui n'était ni homme, ni femme. Pour créer, il fit appel à deux personnes, Kizidaôdak et Tsi Niwaskw. Kizitogoak n'avait pas de bras; il avait donc besoin de Kizidaôdak pour œuvrer sur le monde matériel. Chaque chose créée sur la Terre a reçu de Tsi Niwaskw un esprit. Kostaodak est masculin et Tsi Niwaskw, le grand esprit, est féminin. Pour les Abénaquis, il se doit d’y avoir un homme et une femme pour que la création soit possible. De la même façon, il faut un monde matériel et un monde spirituel. Le grand esprit est donc féminin. Avant Kizidaôdak et Tsi Niwaskw, Kizitogoak s'était fabriqué un hochet, qui lui a donné la vision de ce que pourrait être le monde. Ce hochet a donné un rythme différent à tout ce qui a été créé par la suite. Avant l’humain, tout était déjà en place sur la Terre : les animaux, les éléments et les plantes. Le créateur a d’abord voulu créer un être fort et puissant, capable de vivre dans un monde difficile. Il a donc créé un homme en pierre, un peu comme les inukshuks. Ces êtres ont été réduits à la grandeur d'une feuille d'érable, ils vivent encore, même de nos jours. Ils sont là pour protéger l'environnement. Les Abénaquis leur offrent encore du tabac quand ils entrent en forêt, dans le but d’avoir une bonne visite. Autrement, ils risquent de s’accrocher dans une racine, d'être égratignés par des framboises ou encore de se blesser avec une branche. Ces petits êtres de pierre aiment jouer des tours. Ce sont un peu l'équivalent des lutins chez les Attikameks. Après avoir mis au monde ces premiers êtres, les créateurs ont cherché un matériau qui serait fort, mais qui aurait un cœur plus chaud. Ils ont sculpté les Abénaquis dans le frêne. Avec des flèches, ils leur ont donné la vie. La première chose que ces êtres ont fait a été de chanter. Après tout, le créateur a tout créé à l’aide de son hochet, ou crécelle, un instrument de musique abénaquis.  Les chants abénaquis sont des chants d’onomatopées, afin de favoriser l’apprentissage. Selon Nicole O’Bomsawin, une autre explication possible est qu’il s’agirait de chants sacrés ayant été amputés de syllabes afin de ne pas être réappropriés à mauvais escient.
L’équilibre est au centre de ce cercle des saisons et de la vie. Il s’agit de l’équilibre entre le monde matériel et le monde immatériel. Les principales valeurs défendues traditionnellement par les Abénaquis sont le respect et le partage. Pour les Abénaquis, le gaspillage de la nourriture était un péché. Un tel geste manquait de respect envers la nature ou l’animal. Les animaux devaient être remerciés par une offrande de tabac. La façon de penser des Abénaquis n’est pas exactement animiste, puisque ceux-ci ne prient qu’un seul esprit. Les trois prémisses de la spiritualité abénaquise sont : estime-toi, respecte les autres, et honore la création.


Le cercle de la vie tourne, et il n’y a pas dans le cycle de haut ou de bas. Les hommes et les femmes sont présents dans le cercle, de même que tout le monde spirituel et matériel. Ces quatre dimensions doivent être équilibrées et harmonisées. Un déséquilibre dans cette conception circulaire se traduit par un malaise dans la famille et dans la communauté.  Il faut donc procéder à des rituels, entre autres celui de la purification. Chez plusieurs nations autochtones, le rituel de la purification se fait avec de la fumée, contrairement à d’autres religions où un contact avec l’eau est utilisée pour symboliser la purification. Quatre herbes sont brûlées : la sauge, le foin d’odeur, le cèdre et le tabac. C’est un des premiers rituels exécutés lors de toute célébration. La sauge pousse dans les endroits secs. Elle représente l’essence masculine. Le foin d’odeur grandit dans les milieux humides et est associé à la féminité. Dans les rituels de purification, l’équilibre des quatre dimensions est important.

Apprentissage et transmission


Nicole Obomsawin au tambour
© IPIR 2010, soumis à copyright

Toute son enfance, Nicole O'Bomsawin a vu les membres de sa famille, des musiciens, chanter et jouer de la musique. C'est dans sa famille et grâce à ses recherches qu'elle a appris les pratiques traditionnelles qu'elle transmet aujourd'hui aux jeunes. L’aîné de la famille était élevé par ses grands-parents maternels jusqu’à l’âge de trois ans et le cadet partait vivre chez les grands-parents maternels ou les tantes lorsque nécessaire, par exemple lorsque la famille était très nombreuse. Les filles pouvaient aller vivre avec leur grand-mère, qui n’habitait souvent pas loin, ce qui leur permettait de garder le contact avec leurs traditions.

Localisation

Municipalité: Odanak
Région administrative: 17 Centre-du-Québec
MRC: Nicolet-Yamaska
Lieu: Réserve mondiale de la biosphère du Lac Saint-Pierre, 420, Route Marie-Victorin, Baie-du-Febvre (Québec) , J0G 1A0
Téléphone: (450)783-6466
Télécopieur: (450)783-6468
Site Web: http://www.biospherelac-st-pierre.qc.ca/content/index.html

Source

Nicole O'Bomsawin
Titre, rôle et fonction : Nicole O'Bomsawin travaille pour la Réserve de la biosphère du Lac Saint-Pierre.
Lien avec la pratique : Elle a une formation d'anthropologue et de muséologue. Toute son enfance, Nicole O'Bomsawin a vu les membres de sa famille, des musiciens, chanter et jouer de la musique traditionnelle.

Enquêteur : Valérie Roussel
Date d'entrevue : 18 juillet 2009, 18 juillet 2009

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